Déclaration de la Collective Cuba Libération Noire

Déclaration du Colectivo Cuba Liberación Negra (Collective Cuba Libération Noire)

*La présente déclaration a été initialement publiée en espagnol par la Collective Cuba Libération Noire (Colectivo Cuba Liberación Negra) le 30 juillet 2021. Pour suivre leur travail et activisme sur Twitter @Abolicion_Negra & Instagram @abolicionnegra


Nous sommes des Cubain·e·s Noir·e·s queer qui militent à l’intérieur et à l’extérieur de Cuba dans une perspective abolitionniste et anti-impérialiste. Certain·e·s d’entre nous sont affilié·e·s à des groupes de libération Noire et au mouvement Black Lives Matter dans les villes et pays où nous résidons. Par cette déclaration, nous voulons dénoncer l’invisibilisation des expériences et des réalités des personnes Noires cubaines, notamment dans le contexte de la crise économique à Cuba, aggravée par la pandémie de COVID-19, et à la suite des manifestations qui ont eu lieu à Cuba depuis le 11 mai 2019, jusqu’aux plus récentes, le 11 juillet 2021. Ces protestations ont vu des milliers de Cubain·e·s dans les villes, municipalités et localités de l’archipel s’élever contre la mauvaise gestion du gouvernement, ce qui a entraîné un système de santé publique délabré et une insécurité alimentaire qui monte en flèche.

Toute évaluation de la situation des droits de la personne de la population afro-cubaine doit commencer par une reconnaissance de la persistance du racisme structurel et de la discrimination raciale (préjugés, stéréotypes, attitudes racistes, etc.), qui se manifeste dans toutes les sphères de la société cubaine. Des affirmations populaires anti-Noir·e·s, telles que « la révolution a fait des Noir·e·s des personnes », renforcent le mythe selon lequel le processus révolutionnaire a mis fin à l’inégalité et à la discrimination raciale. En outre, elles ignorent les réalisations et les luttes de la population Noire à Cuba avant 1959 et les déshumanisent. Avant 1959, les Noir·e·s étaient déjà des personnes.

Todes, (acrylic on canvas, 4″ X 12″). Crédito: Odaymar Cuesta

Par conséquent, ces expressions placent également les personnes Noires dans une position de subordination attendue, les reléguant à l’impuissance en imposant de manière acritique une demande de gratitude éternelle de leur part.  Chaque jour, nous devons rappeler aux Cubain·e·s que tant les personnes Africaines réduites en esclavage que leurs descendant·e·s ont participé de manière remarquable aux luttes émancipatrices de l’île ainsi qu’à sa vie économique, culturelle, scientifique et sociale.

L’utilisation d’expressions dévalorisantes telles que « choleras », « révolutionnaires désorientés », « vandales », « mercenaires », « délinquants », « voyous », « mécréants », dans le but de stigmatiser celleux qui protestent ou sont en désaccord, révèlent une vision désobligeante du peuple cubain lui-même et, en particulier, de sa population afrodescendante. Ils incarnent à la fois le racisme et le classisme renforcés par le gouvernement, les institutions et les médias officiels, tout en servant à criminaliser celleux qui souffrent de la pauvreté et de l’inégalité. Nous ne pouvons ignorer le fait que bon nombre des personnes auxquelles ces étiquettes sont collées sont des personnes d’origine africaine issues de communautés de plus en plus marginalisées par les récentes réformes économiques et vulnérables aux abus de pouvoir.

Cette marginalisation de la population Noire est liée à la manière dont l’hégémonie blanche contrôle les espaces de relations (sociales, économiques, culturelles, etc.) et aussi les territoires. Des phénomènes tels que la gentrification à Cuba prennent des caractéristiques particulières lorsqu’ils sont mis en œuvre par l’État qui, dans des quartiers vitaux comme la Vieille Havane, déplace les habitant·e·s vers la périphérie de la ville afin de construire des hôtels. De la même manière, des dizaines de milliers de Noir·e·s vivent aujourd’hui dans des campements de fortune, où leurs besoins fondamentaux ne sont pas satisfaits et où leurs droits légaux en tant que résident·e·s ne sont pas protégés.

Pendant et après les événements du 11 juillet 2021, nous avons vu d’innombrables photos et vidéos, dans lesquelles des Noir·e·s – en particulier des jeunes Noir·e·s – sont victimes de brutalité policière de la part des forces militaires et paramilitaires. Il convient de noter que les forces de police cubaines sont composées d’un nombre considérable de Noir·e·s, dont beaucoup sont originaires des provinces orientales. Compte tenu des conditions de précarité de ces régions et du caractère obligatoire du service militaire, il s’agit d’un emploi qui garantit l’accès à des salaires modérément plus élevés. Cet exemple est sans doute le plus flagrant du fonctionnement du racisme structurel à Cuba et de la façon dont l’hégémonie blanche instrumentalise et dresse les personnes Noires les unes contre les autres.

Cependant, la brutalité policière ne fait pas seulement référence à l’usage de la violence physique. Elle implique également de nombreuses autres formes de violence qui, bien que plus subtiles, sont tout aussi condamnables. Il est notamment question de surveillance, de harcèlement, de menaces, de convocations extrajudiciaires, d’interrogatoires, d’interdictions de quitter le pays, de barricades de police devant les maisons ou dans les rues avoisinantes, etc. Il est important de mentionner que des militant·e·s antiracistes ont également été harcelé·e·s, persécuté·e·s, menacé·e·s et arrêté·e·s pour leur lutte contre la discrimination raciale. Leurs partenaires, les membres de leur famille et leurs ami·e·s ont également subi des violences.

De plus, la police cubaine pratique fréquemment le profilage racial et classifie les jeunes Noir·e·s comme des délinquants. D’une part, cela nous amène à nous interroger sur le profil racial qui prédomine dans les prisons cubaines ; des informations que le gouvernement possède probablement, mais qu’il n’a pas rendues publiques jusqu’à présent. D’autre part, une grande partie des données recueillies dans les recensements et les enquêtes de Cuba ne sont pas traitées, présentées ou publiées en fonction de la race. Le gouvernement dispose probablement aussi de ces informations, mais la composition raciale de la population carcérale n’est pas facilement accessible à Cuba. Néanmoins, il ne serait pas déraisonnable de conclure que parmi le grand nombre de Cubain·e·s en prison, la majorité est visiblement d’origine africaine.

L’existence de la catégorie juridique connue sous le nom de « peligrosidad » ou « danger pour la communauté », qui est censée contribuer au contrôle social, a conduit à l’emprisonnement de personnes considérées par les autorités comme « enclines à commettre des délits » – parmi lesquelles des personnes travailleuses du sexe et des consommatrices de drogues. Cela nous amène à nous demander si la race est utilisée, plus ou moins consciemment, pour déterminer qui est « enclin à commettre des crimes » et qui doit subir une sanction pénale. Malheureusement, nous manquons de statistiques pour confirmer ce biais dans le système judiciaire cubain.

Dans le cas des Cubain·e·s Noir·e·s queer, non binaires, agenré·e·s, trans, etc., cette criminalisation est particulièrement liée au contrôle et à la surveillance de leur corps : leur façon de s’habiller, leurs expressions de genre et leur sexualité. Iels sont arrêté·e·s et emprisonné·e·s plus fréquemment que tout autre groupe de la société, ce qui prouve que le système carcéral est fondé sur le renforcement du binarisme de genre et de la violence sexiste. Le non-respect des noms et des pronoms, si courant lors des arrestations par la police, est un comportement répressif qui correspond au « cis-tème » sexe-genre que l’hégémonie blanche impose.

Nous voulons également sensibiliser aux conditions de vie dans les prisons cubaines pendant la pandémie. Si la population générale connaît des difficultés liées aux protocoles sanitaires COVID-19 (faible accès aux ressources, à la nourriture, aux médicaments, etc.), les témoignages disponibles suggèrent que, dans les prisons, la situation est encore plus critique. Celle-ci est aggravée par les conditions d’éloignement social que la pandémie impose : suspension des visites familiales et conjugales, surpopulation, isolement à l’intérieur de la prison, augmentation du nombre d’infections, etc.

Le débat international sur la punition, le maintien de l’ordre, la criminalisation, la finalité des prisons et l’inefficacité du système judiciaire n’a pas encore atteint Cuba avec la même intensité que dans d’autres pays, grâce aux mouvements féministes et antiracistes. Ce débat se concentre sur la remise en question de l’incarcération en tant qu’outil de prévention, ainsi que sur la violence exercée par le complexe industriel carcéral et l’invisibilisation de la situation critique des personnes Noires incarcérées, qu’elles soient queer, non-binaires, agenré·e·s, trans, etc.

Notre approche consiste à réfléchir à des alternatives et des stratégies contre les systèmes qui nous oppriment et nous empêchent de vivre une vie digne et émancipée. Cela implique également de garantir les droits humains des prisonnier·ère·s tout en travaillant à mettre fin à l’utilisation de l’incarcération comme moyen de contrôle social. Il s’agit de réorganiser la façon dont nous vivons collectivement, afin que nous choisissions des systèmes d’affirmation de la vie plutôt que la mort et la punition.

Considérant tout ce qui précède, nous demandons aux autorités de :

  1. Réduire drastiquement la population carcérale et mettre fin à l’utilisation de la prison comme mécanisme par défaut pour résoudre les problèmes sociaux.
  2. Diminuer le financement des forces de police, des armes, des patrouilles, etc.
  3. Promouvoir des politiques et des campagnes d’éducation contre le racisme anti-Noir·e·s et la discrimination raciale.
  4. Mettre fin à la criminalisation de l’exercice des libertés civiles et politiques.
  5. Garantir la participation des citoyen·ne·s à la vie politique du pays, en toute autonomie par rapport à l’État et à ses institutions.
  6. Cesser la criminalisation de la population afro-descendante et des personnes en situation de vulnérabilité sociale et/ou économique.
  7. Éliminer le concept de « dangerosité » du code pénal cubain.  
  8. Garantir l’accès public aux dernières données désagrégées sur le nombre de prisons, le nombre de personnes purgeant une peine pénale et leur répartition par âge, sexe, ville d’origine, race et couleur de peau, délit reproché, etc. Publier ces informations sur les sites officiels et dans la presse officielle.  
  9. Adopter des mesures urgentes pour répondre en rapidement aux problèmes des systèmes pénitentiaires exacerbés par la pandémie.
  10. Garantir une procédure régulière dans tous les procès, mettre fin aux détentions arbitraires et respecter l’État de droit.
  11. Promouvoir le débat public sur la police et les prisons à Cuba, dans les médias et le système éducatif, notamment en remettant en question le recours à la punition pour résoudre les problèmes sociaux.
  12. Garantir l’accès total et inconditionnel des personnes privées de liberté aux services de santé, à l’hygiène, aux visites de la famille et des ami·e·s, à une alimentation adéquate, aux activités récréatives, etc. Ces mesures ne doivent pas viser à créer un système pénal plus fort, mais à l’abolir.
  13. Investir dans les ressources sociales qui contribuent à une véritable sécurité publique fondée sur la justice sociale, le bien-être et l’équité.
  14. Libérer les personnes emprisonnées pour des raisons politiques à Cuba.

Odaymar Cuesta, Sandra Álvarez et Marlihan Lopez
Collective Cuba Libération Noire

30 juillet 2021

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