Matakan : De passage vers demain

Étienne Levac
etienne_levac@hotmail.com
Membre étudiant du Centre interuniversitaire en études et recherches autochtones (CIERA)

Lors de cet été 2020 marqué par une situation mondiale plus qu’exceptionnelle, j’ai eu l’immense privilège de me rendre dans la communauté Atikamekw Nehirowisiw de Manawan en m’impliquant dans le projet Matakan qui a pour objectif de documenter, transmettre et mettre en valeur le patrimoine ainsi que les savoirs atikamekw. Ce projet entre différents partenaires dont l’Université du Québec à Montréal, et soutenu par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, concrétise l’aspect de transmission par l’élaboration d’une programmation se déroulant sur le site Matakan, situé sur le lac Kempt, où des jeunes de l’école secondaire Otapi de Manawan prennent part à différentes activités sur le territoire en langue atikamekw avec des aîné.e.s et des passeurs.euses culturel.le.s. Par la suite, les savoirs transmis sont mis en valeur au sein de la communauté ainsi qu’à l’extérieur de plusieurs façons : créations numériques, vidéos, articles Wikipetcia, pièces de théâtre, ou intégration dans les activités pédagogiques à l’école.

J’ai eu la chance de me rendre à Manawan ainsi que sur le site Matakan à quelques reprises lors des trois dernières années. Toutefois, c’était la première fois que je participais concrètement à l’organisation d’un projet qui sert les membres de la communauté, principalement les jeunes.  Ce projet de transmission et de revalorisation permet à ceux-ci et celles-ci d’avoir un accès au territoire du Nitaskinan tout en apprenant différentes notions relatives aux plantes médicinales, aux rituels, à l’usage du tambour ainsi qu’à leurs récits et légendes. Mon rôle consistait essentiellement à consulter les personnes de la communauté qui souhaitent faire un atelier ou une activité avec les jeunes ainsi qu’à assister les différents partenaires, tels que Tourisme Manawan dans la logistique générale de ce projet que nous appelions les camps Matakan.

Pour prendre la mesure de l’importance d’une initiative de ce type, il est essentiel de comprendre le processus colonial qu’a enclenché la Loi sur les Indiens chez les Atikamekw Nehirowisiwok. Cette loi a notamment forcé la sédentarisation dans les réserves et les démarches d’acculturation à des fins « d’émancipation ». Ces démarches étaient multiples et comprenaient l’interdiction de toutes pratiques de cérémonies jusqu’en 1951 ainsi que les pensionnats indiens avec l’ensemble des horreurs avec lesquels ils s’accompagnaient et dont le dernier a fermé ses portes au Canada en 1996. De plus, cette loi a longtemps été discriminante à l’endroit des femmes, et de leur descendance, qui pouvaient plus facilement perdre leur statut. La Commission Vérité et Réconciliation a d’ailleurs qualifié de « génocide culturel » la période des pensionnats, soit la grande majorité de l’histoire canadienne.

Joseph Ottawa, aîné atikamekw nehirowisiw  de 81 ans ayant participé au projet matakan depuis  le début, montre aux jeunes sur une carte, différents endroits du Nitaskinan avec les histoires qui y sont associé.
Photo : Étienne Levac, 2020
Joseph Ottawa, aîné atikamekw nehirowisiw de 81 ans ayant participé au projet matakan depuis le début, montre aux jeunes sur une carte, différents endroits du Nitaskinan avec les histoires qui y sont associés. Photo prise par Étienne Levac, 2020

Dans ce contexte historique dont les échos nous parviennent toujours clairement aujourd’hui, le projet Matakan, dans sa visée de transmission, offre un espace de valorisation de la culture atikamekw-nehirowisiw qui est bien nécessaire. Parmi plusieurs activités, les jeunes ont pu, entre autres, s’entretenir avec Sipi Flamand sur la résurgence des rituels chez les Atikamekw Nehirowisiwok. Ils et elles ont pu entendre différentes histoires sur le territoire avec Jos Ottawa, un aîné qui a pu leur raconter sa propre vie sur le territoire ainsi que des noms et toponymes que les jeunes ne connaissaient pas. Ils et elles ont aussi pu assister à un concert du groupe de tambour de renommée nationale les Black Bears sur le territoire. Les jeunes filles ont aussi pu suivre un atelier seulement entre elles avec Jocelyne Niquay concernant le rapport des femmes aux territoires ainsi qu’à la fierté d’être femme et Atikamekw Nehirowisiw. Ce fut deux semaines riches d’apprentissages, de canots et de pêche lors desquels les rires résonnaient sur toute la surface du lac pour atteindre la cime des épinettes qui auraient sûrement ri avec nous.

Je suis reconnaissant d’avoir pu participer à l’organisation de camps sur le territoire dans une visée de transmission des savoirs atikamekw en langue atikamekw auprès d’une génération qui verra neiger et l’autre qui a déjà vu plus que des tempêtes. Je me sens aussi reconnaissant d’avoir pu côtoyer tellement de personnes formidables, jeunes, aîné.e.s ou guides. En plus de les côtoyer, j’ai eu l’honneur qu’elles me racontent leur vécu, leurs épreuves et surtout leurs joies ainsi que leurs passions. Il n’y a pas une seule journée où l’on ne rit pas et où nous ne prenons pas le temps d’être ensemble, que ce soit aux camps ou à Manawan. Passer un moment à discuter, prendre des nouvelles, se confier et blaguer entre ami.e.s est une chose qui fait prendre le temps d’apprécier l’émerveillement, le vivre ensemble et les échanges riches d’enseignements. Avec des réalités si différentes, des parcours aux antipodes et des identités bien distinctes composées historiquement et jusqu’à aujourd’hui du colonialisme, nous nous rencontrons dans un espace de partage, de solidarité et d’amitié.

Parler de l’histoire du Canada implique de parler de la colonisation ainsi que des peuples qui s’y sont opposés. Parler de résistance est devenu en quelque sorte un cliché pour parler des peuples autochtones, qui implique toujours ces derniers en fonction de l’État.  Il est nécessaire de valoriser des identités multiples et riches, chacune pour ce qu’elles sont dans leur entièreté et non en fonction d’un autre ou d’une oppression. Des vies riches en tragédies, en bonheur et en réflexions sur l’état du monde, le passé et le futur sont celles que j’ai rencontrées et qui me poussent à revenir pour apprendre et m’impliquer. La pitié n’est pas de mise parce qu’il n’y a pas d’obstacles assez gros pour briser le moral collectif et l’envie de rire des gens de Manawan.

Ces jeunes sont les prochaines générations qui apprendront peut-être aussi à leurs enfants ce qu’ils et elles ont appris aux camps. Bien que parfois les rires s’amenuisent pour laisser place à des silences ou des pleurs, ces jeunes concrétiseront des imaginaires et un futur dont ils et elles seront fiers.ères comme Atikamekw Nehirowisiwok.

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